Les industries créatives et culturelles sont un secteur où la prédominance de l’informel est frappante. Évoluant dans un environnement fragile et précaire, les jeunes créatifs vivotent et peinent souvent à joindre les deux bouts. Or, deux lois importantes sont en mesure de changer leur situation du tout au tout: la loi sur l’auto-entrepreneuriat et le statut de l’artiste.
Dans une déclaration accordée à La Presse, Ahmed Hermassi, président de l’association tunisienne des freelancers exerçant dans les métiers créatifs Uprod’it, a souligné qu’en l’absence de lois protégeant les droits d’auteur, il est difficile de voir l’économie créative fleurir en Tunisie. Et l’aversion dont témoignent les investisseurs pour ce type d’activités n’arrange pas les choses, non plus. “En Tunisie, il n’y a pas de véritable économie basée sur la créativité. Cependant, les industries culturelles offrent une alternative aux jeunes qui, en quête d’emploi et faute de moyens pour se lancer dans l’entrepreneuriat, se tournent vers les métiers créatifs. Cela leur permet de gagner de l’argent, mais dans la précarité de l’informel”, a-t-il expliqué. Et d’ajouter : “La création de contenus, le design, le marketing digital sont toutes des filières où l’argent circule abondamment. Sauf que toutes ces activités ne sont pas répertoriées par l’INS”
Une administration rigide
Pour Hermassi, le secteur culturel s’est métamorphosé et ne se limite plus aux seuls arts. Grâce aux nouvelles activités telles que les jeux vidéo, le développement informatique, les industries créatives et culturelles peuvent être pourvoyeuses de devises. Mais, selon ses dires, les jeunes rencontrent souvent des difficultés pour monétiser leurs créations. “Ces créatifs sont dépourvus de statuts qui reconnaissent leur métier. Je prends l’exemple d’un youtubeur qui souhaite obtenir une patente, l’administration fiscale l’oblige à créer une entreprise de communication. Ainsi, elle le contraint à louer un local commercial alors qu’il n’en a pas besoin pour exercer son métier. Il serait également dans l’obligation d’avoir une comptabilité réelle alors qu’il peut à peine rentrer dans les frais. Le législateur tunisien considère que les créateurs de contenus réalisent des profits énormes alors qu’en réalité, ce n’est pas vrai, exception faite d’une minorité”, a-t-il expliqué.
Activer des lois en suspens
Pour le président de l’association, cette catégorie de jeunes créatifs et artistes est la véritable cheville ouvrière des industries culturelles et créatives en Tunisie. “Tous ces jeunes qui promeuvent l’image de la Tunisie sur le web sont marginalisés et ne sont pas reconnus par le système, alors que ce sont eux qui sont les acteurs réels des industries culturelles. Ils souffrent de la précarité tout simplement parce que les lois tunisiennes sont dépassées par l’évolution et les changements que connaissent ces secteurs. Figurez-vous que la nomenclature arrêtée par le ministère de l’Emploi n’a pas été mise à jour depuis 2009.”, a-t-il déploré. Face à une administration qui ne jure que par le salariat, ces jeunes sont totalement marginalisés par le système et leurs métiers ne sont pas reconnus par l’Etat, poursuit-il.
“Deux lois qui sont actuellement en suspens sont en mesure de répondre aux attentes des freelancers. Or, malgré leur impact positif avéré, elles n’ont pas été, à ce jour, approuvées. Il s’agit de la loi relative au statut de l’auto-entrepreneur qui, par-dessus le marché, a été modifiée pour exclure les freelances créatifs, et le statut de l’artiste qui garantit les droits d’auteurs et la propriété intellectuelle. A ce jour, ces lois moisissent dans les tiroirs des bureaux de l’ARP. Un gâchis énorme causé par cette paresse législative”, a-t-il conclu.